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Jan 6, 2016

La clause dite de « knock-for-knock » est un dispositif contractuel que Bourbon insère dans ses chartes-parties de manière systèmatique, pour en faire l'outil de gestion de l'un de ses risques juridiques majeurs: le risque d' exposition é une responsabilité contractuelle illimitée. Sa justification est à rechercher dans le contexte où il est appelé à jouer, celui du champ pétrolier, théâtre des opérations où Bourbon intervient en soutien des activités d'exploration pétrolière, en fournissant des navires polyvalents, capables de remorquer des plates-formes ou de relever les ancres des appareils de forage. C' est un environnement difficile où se côtoient de nombreux acteurs travaillant en étroite proximité les uns des autres et utilisant des installations et des équipements pour la plupart extrêmement coûteux, quoique d'une valeur fort inégale la valeur d'une plate-forme peut avoisiner le milliard de dollars alors que celle d'un navire représentatif de la flotte de Bourbon dépassera à peine quelques dizaines de millions de dollars. La conséquence de cet environnement difficile est double: le risque de survenance des accidents ainsi que le risque d'intensité de ces accidents sont tous deux élevés.

Pour un fournisseur de moyens dont la valeur est relativement modeste comme Bourbon, le risque est ainsi de causer aux autres acteurs du champ pétrolier des dommages d'un montant supérieur à cette valeur ou à celle de la marge qu'il réalise sur ses opérations. Un tel risque pourrait faire l'objet d'une couverture d'assurance en responsabilité civile mais les montants de prime à payer seraient si élevés qu'ils priveraient Bourbon de toute compétitivité en cas de répercussion au client, ou en l'absence de celle-ci , mettraient à mal le modèle économique même de Bourbon.

Le système de « knock-for-knock » lui permet de proportionner le risque encouru au retour sur investissement escompté, par un transfert du risque de responsabilité contractuelle au propriétaire des biens susceptibles d'être endommagés. Aux termes de la clause de « knock-for-knock »,chaque partie supporte la responsabilité découlant des dommages causés à ses biens et/ou son personnel (littéralement, « chacun garde ses plaies et ses bosses ») , indépendemment de la commission de toute faute. Afin d'augmenter l'efficacité de la clause, les parties au contrat sont définies largement pour englober leurs sous-traitants et autres cocontractants respectifs. Ainsi l'armateur ne sera pas responsable des dommages qu' il pourra avoir causés aux installations du Client, aux unités remorquées, aux cargaisons transportées, aux installations appartenant à des co-contractants du Client, comme les appareils de forage.

Ce principe joue naturellement à plein lorsque les dommages ont été causés par l' autre partie, envers laquelle la première renonce à recourir. Cette renonciation à recours réciproque est étendue au bénéfice de leurs assureurs respectifs.

Pour les assureurs de Bourbon, une telle solution est pleinement satisfaisante puisqu'elle diminue fortement leur exposition aux risques d'indemnisation de leur client et constitue un argument que Bourbon peut utiliser pour les inciter à lui consentir des baisses de primes reflétant une telle diminution de risques. Pour le co-contractant de Bourbon, compagnie pétrolière ou entreprise générale propriétaire d'une plate-forme pétrolière ou d'un appareil de forage, le « knock-for-knock » opère comme un transfert de risques à sa charge mais dans des conditions quasiment neutres pour lui au regard de son modèle économique, puisque dans la plupart des cas (sauf choix d'auto-assurance), il dispose d'ores et déjà d'une couverture d'assurance qu'il a souscrite pour couvrir le risque de dommage à ses biens, qui sera appelée à jouer en cas de mise en oeuvre de la clause de « knock-for-knock ». Tout au plus la clause va-t-elle accroître l'exposition au risque d'indemnisation de ses assureurs et amener ceux-ci à réclamer une « surprime » à leur assuré. Bourbon aura beau jeu de convaincre le Client que ce risque n'augmente pas en réalité, car la probabilité d'occurrence des accidents est diminuée, voire faible, grâce aux importants dispositifs de sécurité mis en place par ses soins, et de donner ainsi au Client des armes de négociation vis-à-vis de son propre assureur, pour que celui-ci ne lui réclame pas de surprime.

Cependant, faute d'y parvenir, et plutôt que de renoncer à la clause de « knock-for-knock », ainsi que le Client lui en fait parfois la demande, c'est cette « surprime » que Bourbon peut dans certains cas accepter de payer, au travers par exemple, du paiement de la franchise que l'assureur du Client a pu assortir à sa couverture, rendant ainsi totalement neutre financièrement pour ce dernier l'application de la clause « knock-for-knock ». La clause de « knock-for-knock » constitue ainsi un instrument d' optimisation des couvertures d'assurances des parties en cause, puisqu'elle évite que le même risque soit couvert deux fois une première fois par l'assureur en responsabilité de Bourbon, une seconde fois par l'assureur en dommages du Client de Bourbon.

Enfin, au Client qui refuserait la clause de « knock-for-knock » au motif qu' il n'a aucune raison de supporter une responsabilité qui ne lui incombe pas, il faut rappeler que ce faisant, il met en danger le modèle économique de Bourbon et des fournisseurs de taille comparable: faute de s'assurer ou de trouver des couvertures suffisantes à des tarifs acceptables, aucun fournisseur ne sera plus en mesure de poursuivre de manière pérenne son activité au service des pétroliers. Dès lors, plus qu'une simple clause de « préallocation » de risques contractuels, source de sécurité juridique pour les parties, outil de prévention des contentieux et instrument d'optimisation des coûts d'assurance, la clause de « knock-for-knock » apparaît comme le socle fondateur du modèle économique du l'offshore pétrolier tout entier.

A ce titre, il faut en assurer inlassablement la promotion et pourquoi pas la proposer dans tout système contractuel réunissant les mêmes conditions que celles de l'offshore pétrolier des acteurs aux tailles disparates et dont l'exposition aux risques pour certains d'entre eux est disproportionnée par rapport aux revenus de leur activité.

Par Caroline Lé-Girard