Jan 6, 2016

Au cours d'un colloque sur le risque juridique, j'entendis un jour un intervenant ironiser sur le caractère désuet et dépassé des Directions Juridiques comportant dans leur périmètre la gestion des assurances.

Si elle est le résultat de luttes de pouvoirs entre directions plutôt que le fruit d'une véritable réflexion sur les synergies possibles, la réunion du droit et de l'assurance au sein du même service n'est sûrement en effet qu'un parti-pris organisationnel, sans création de valeur. En revanche, si elle est l'expression d'un choix délibéré de l'entreprise, il peut en aller tout autrement. Le droit et l'assurance ont en commun de poursuivre un même but : réduire ou éliminer les risques de l'entreprise, qu'ils soient juridiques, opérationnels, financiers ou de toute autre nature.

Prenons un exemple banalement répandu, celui de la relation entre un prestataire et son client en cas de défaut dans l'exécution du contrat par le prestataire. En l'absence de stipulation expresse, cette situation expose l'entreprise prestataire au risque de se voir réclamer par son client des dommages-intérêts d'un montant illimité. Supposons que cette entreprise soit dotée d'une direction Juridique et d'une direction des assurances qui ne collaborent pas entre elles ou très peu. La direction juridique à laquelle le contrat est soumis va y insérer une clause limitative de responsabilité, fixée par exemple à 10 M EU (après avoir recueilli l'avis de la direction des opérations), sans se préoccuper d'assurance. De son côté, la direction des assurances disposera d'une police globale -préalablement souscrite sans consultation de la direction juridique- prévoyant une couverture d'un montant correspondant à un risque moyen observé dans les standards de la profession et fixé ici, pour les besoins de la démonstration, tantôt à 20 M EU, tantôt à 5 M EU. On aboutit alors à une situation inefficiente où la couverture d'assurance achetée sera soit surdimensionnée, soit insuffisante et dans tous les cas ne correspondant ni au « juste risque », ni partant, au « juste prix ». Dans le 1er cas, elle fait payer à l'entreprise un surcoût de prime inutile et dans le second cas, elle laisse l'entreprise supporter en propre un risque de réclamation juridique élevé (dans notre exemple, de 5 MEU). Si les 2 directions avaient collaboré, l'achat de la couverture d'assurance aurait été ajusté sur le montant du plafond contractuel de 10 M EU et aurait permis une optimisation à la fois économique et juridique. Bien entendu, au-delà de l'exemple précité, l'optimisation sera plus globalement réalisée si la limite de couverture est alignée sur le plafond le plus élevé de l'ensemble des contrats ou s'il est prévu une clause de limitation de responsabilité dans tous les contrats, égale à la limite de l'assurance.

La combinaison du droit et de l'assurance comme outil de gestion du risque peut ainsi s'avérer doublement vertueuse où chaque matière s'enrichit mutuellement : le droit rend l'assurance moins onéreuse et l'assurance renforce la sécurité juridique. Elle sera d'autant plus efficace que l'on saura donner à chaque dimension sa pleine mesure. Le piège de la facilité pour ceux qui sont chargés de décrocher les contrats serait de considérer que tout incident né de la relation contractuelle peut être réglé par une couverture d'assurance laquelle rendrait inutile la négociation des termes du contrat. En faisant de cette manière prévaloir l'assurance sur le juridique, l'entreprise se priverait du droit comme outil de réduction des risques tout en s'exposant à un surenchérissement de ses coûts d'assurance. A l'inverse, utiliser exclusivement le contrat comme outil de gestion des risques serait réducteur car les négociations sur le plafond de responsabilité vont inéluctablement achopper sur les limites posées par le rapport des forces en présence, là où le client refuse de se voir transférer un risque supérieur à son souhait à l'assumer, là où le prestataire refuse de le retenir à un niveau qu'il considère menacer son modèle économique. Le recours à l'assurance va permettre de dépasser les limites de la négociation entre les parties en prenant le relais du contrat pour couvrir le risque résiduel, celui que le client a laissé son prestataire supporter et qui, sans la couverture d'assurance devrait être assumé par celui-ci sur ses deniers propres.

Bien qu'elle ne soit pas toujours possible - tous les risques juridiques n'étant pas assurables - l'association du droit et de l'assurance mérite ainsi une réflexion systématique, au travers notamment de la démarche de Legal Risk Management (démarche globale et intégrée de gestion des risques juridiques). Cette démarche permettra de placer le curseur au mieux, en fonction de la situation respective des marchés de l'assurance et de celui du secteur d'activité considéré. Son succès dépendra de l'existence et de la qualité du dialogue entre les directions concernées. Or, dans bon nombre d'entreprises, les responsables de chacune de ces fonctions se côtoient sans collaborer ensemble, ne soupçonnant pas les bénéfices que leur coopération pourrait induire pour l'entreprise.

Ainsi, la réunion du Juridique et de l'Assurance au sein d'une même fonction, sans être un impératif, est cependant loin d'être incongrue car elle participe au contraire d'une gestion globale et décloisonnée des risques, créatrice de valeur pour l'entreprise.

Par Caroline Lé-Girard