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Nov 1, 2011

Avocat et juriste d'entreprise : deux professions complémentaires au service de celle-ci. Mais quand le premier intervient en urgentiste ou en spécialiste, le second prévient le risque et élabore une stratégie juridique globale.

Aujourd'hui plus que jamais, le rôle du juriste d'entreprise est crucial face au risque légal illustré par l'adage « nul n'est censé ignorer la loi », véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête des dirigeants d'entreprise. Mais à qui doivent-ils s'adresser ? Au juriste d'entreprise ou à l'avocats ? Ces deux juristes ont peu ou prou une formation similaire ; ce qui les distingue, c'est une approche différente des problématiques, tenant à la différence de leur implication dans l'entreprise et à celle de leur niveau d'expertise.

Un degré d'implication dans l'entreprise différent

En raison de leur connaissance superficielle de l'entreprise qui fait appel occasionnellement à eux, les avocats d'affaires fournissent des réponses ciblées et parcellaires, à l'inverse de des juriste d'entreprise dont l'approche holistique, basée sur une connaissance intime de l'entreprise, leur permet d'apporter des solutions adaptées à ses spécificités. L'avocat peut se contenter de « dire le droit », c'est-à-dire énoncer la règle applicable à la situation et la sanction correspondante, sans donner un conseil pertinent ou proposer une solution. Les avocats interviennent sur demande et agissent donc le plus souvent en mode curatif, lorsque la question a pris un tour contentieux. Les juristes d'entreprise au contraire peuvent s'autosaisir des problématiques qu'ils estiment porteuses de risques ou d'opportunités pour l'entreprise. Le juriste, salarié de l'entreprise qui l'interroge, est soupçonné en conséquence de rendre des avis de complaisance, à la différence de l'avocat, auréolé d'un esprit d'indépendance grâce à son statut de consultant extérieur. La Cour de justice de l'Union européenne a ainsi refusé le bénéfice de la confidentialité des écrits du juriste pour cette raison. Or, l'avocat est lui aussi payé par l'entreprise, non pas au titre d'un contrat de travail mais au titre d'une convention d'honoraires, ce qui ne l'affranchit en rien d'une éventuelle dépendance à l'égard de l'entreprise.

Un degré d'expertise différent : généralistes versus spécialistes

Dans les entreprises d'une certaine taille, les besoins d'assistance juridique peuvent être variés et exiger une expertise de spécialistes. Ces entreprises doivent-elles dès lors internaliser la ressource permettant d’y répondre ? Chaque entreprise arbitrera entre contraintes budgétaires et nécessités de capitaliser les connaissances. Elle ne devrait pourtant jamais avoir à se priver des services d’au moins un juriste interne au profil de généraliste. Seul ce dernier possède en effet une culture juridique suffisamment tendue pour identifier la multiplicité de risques juridiques auxquels l’entreprise est confrontée.

De même est-il mieux armé pour optimiser la prestation juridique au meilleur bénéfice de l’entreprise. Sa vision globale du groupe lui permettra de faire jouer synergies et économies d’échelle, par zone géographique ou par spécialité. Parfois, à degré d’expertise équivalent, l’avocat pourra faire plus utilement valoir son point de vue en raison de sa neutralité supposée, dans un contexte où le juriste d’entreprise se sera heurté à des résistances à l’intérieur de l’entreprise. L’avocat fera alors figure d’arbitre, de catalyseur, ou grâce à son appartenance à un cabinet de renom, donnera sa signature en gage de qualité aux yeux de certaines parties prenantes de l’entreprise (clients, actionnaire …).

La stratégie juridique d'entreprise

Juriste d’entreprise et avocat exercent deux métiers différents. L’un est un « préventionniste », l’autre est un « urgentiste ». L’un est un généraliste, l’autre est un spécialiste. Le premier est l’interlocuteur privilégié des opérationnels et des dirigeants de l’entreprise, le second celui des magistrats ou de l’administration.

Il n’est donc pas question pour un chef d’entreprise de choisir entre l’un ou l’autre, tant leurs rôles sont différents et complémentaires, mais bien de pouvoir compter sur leur double compétence. Dans les groupes internationaux, cette complémentarité doit jouer pleinement. Dans les entreprises n’ayant pas atteint le seuil critique permettant d’embaucher un juriste interne, les avocats sont les seuls interlocuteurs de la direction, ce qui présente des inconvénients, décrits plus haut. Or, combien de chefs d’entreprise de cette taille se sont-ils mordus les doigts de ne pas avoir pensé à consulter un juriste ou pour en avoir consulté un trop tard, voire d’avoir refusé d’intégrer la dimension juridique dans leur modèle économique ? La réponse est peut-être dans la création d’une nouvelle prestation juridique à leur intention : la stratégie juridique d’entrepris. A quand donc, le « directeur juridique libéral » ?

Par Caroline Lé, directrice juridique et assurances, Bourbon